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Introduction
Dans un contexte où les activités anthropiques, l’évolution démographique et les projets d’aménagements liés aux infrastructures ou au développement urbain sont élaborés à travers toute la France (Les Plans Locaux d’Urbanisme remplacent les Plans d’Occupation des Sols), il est indispensable de mieux connaître les impacts sur la nappe phréatique. Par ailleurs, les hypothèses climatiques nouvelles ainsi que les conflits d’usages pour les ressources naturelles, constituent une nécessité d’aller vers une gestion plus rationnelle de ces ressources.
Le Projet
L’Homme en Crau, 500 ans d’Histoire
Le territoire de la Crau s’étend sous forme d’un delta allant de la ville d’Arles, à l’Ouest, jusqu’à Salon-de-Provence à l’Est, et Fos-sur-Mer au Sud. Historiquement recouvert de pelouse pastorale aride (nommée Coussoul), cette végétation unique, aujourd’hui fragmentée, constitue la Crau sèche. C’est le dernier habitat de type steppique d’Europe occidentale.
Adam de Craponne construisit entre 1557 et 1558 le canal qui porte son nom, créant donc un réseau hydraulique superficiel inexistant dans cette région. La partie nord de la Crau fut rapidement irriguée et mise en culture, formant la Crau humide qui donne un foin réputé, premier fourrage à avoir obtenu une AOC, le foin de Crau.
Comme partout en France, la deuxième moitié du XXe siècle annonce un changement brutal de l’occupation des sols : de nombreuses cultures intensives (vergers et maraîchage) apparaissent, réduisant la surface de Coussouls. La zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer (Grand port maritime de Marseille), fondée en 1968, a également consommé des espaces naturels en créant de l’activité, directement (entrepôts logistique, usines), et indirectement (voix d’accès, logements, commerces). En 2006, celui-ci devient le premier port français, le premier port de Méditerranée et le quatrième port européen en trafic total de marchandises.
- Zones humides
- Ces marais qui abritent de nombreuses espèces animales et végétales protégées correspondent à une limite à potentiel imposé, cela signifie que les niveaux du marais et du toit de la nappe sont les mêmes.
S’ajoute à cela la Base Aérienne 125 d’Istres, une zone militaire souvent qualifiée de « hors norme » : une piste de 5 000 mètres (la plus longue d’Europe et la seule à pouvoir recevoir les navettes spatiales Américaines) ; 5 000 personnes (militaires et civils) ; Près de 500 bâtiments ; 2 400 hectares de superficie.
La valeur écologique et patrimoniale du Coussoul a été prise en compte à partir des années 1970, et plusieurs outils de protection ont pu être mis en place. L’habitat est aujourd’hui intégré au réseau Natura 2000 et la Réserve naturelle nationale des Coussouls de Crau a été créée en 2001.
Un aquifère fragile et unique au monde
L’eau si essentiel à la vie, est stockée dans un aquifère, un terrain perméable contenant une nappe d’eau souterraine. Ce sous-sol s’est formé par une série de régressions [1] et transgressions [2] jusqu’au Pliocène, a conduit au dépôt d’argiles et marnes sableuses (Pliocène-Miocène supérieur) au Nord, et de molasses argileuses ou gréseuses (Miocène inférieur) au Sud pour constituer le substratum [3] de la nappe de Crau. Le sable et le grès sont des formations géologiques perméables permettant le stockage et la circulation de l’eau dans le sous-sol.
- Geol
Carte géologique de la Crau
Plusieurs glaciations jusqu’au Würm [4] (-70 000 ans) ont créé les paléo-chenaux (reconnaissables sur la carte géologique ci-dessus) de la Durance qui traverse la Crau, depuis le massif des Alpes, en déposant des cailloutis glacières (épaisseur comprise entre 0 et 50 mètres), jusqu’à la mer. A la fin du Würm (-12 000 Ans), un mouvement tectonique détruit le seuil d’Orgon et ouvre le passage actuel de la Durance vers Avignon, pour ensuite devenir un affluant du Rhône. Les études des années soixante-dix du BRGM ont prouvé la présence d’une ligne de partage des eaux au niveau de Lamanon qui montre que la Durance n’alimenterait plus naturellement la nappe de la Crau.
- Carte du contexte hydrogéologique de la Crau
- Cette carte hydrogéologique représente les limites de l’aquifère et les courbes isopièzes qui permettent de savoir à combien de mètres de la surface se situe le toit de la nappe mais également d’observer son sens d’écoulement.
Carte du contexte hydrogéologique de la Crau
L’aquifère de la Crau, qui s’étend sur une superficie de 520 km2, est la principale ressource en eau pour la région de la Crau (alimentation de 94,5 % des habitants du territoire). Sa morphologie, ainsi que son mode de réalimentation en fait un patrimoine unique.
Comme on peut le voir grâce aux courbes isopièzes [5] les écoulements de la nappe phréatique suivent une direction générale Nord-est/Sud-ouest jusqu’à la limite d’émergence constituée de marais (limites à potentiel imposé). La profondeur de la surface de l’eau par rapport au sol varie entre 25 mètres dans le secteur amont et 0.3 mètre dans le secteur aval avec un battement annuel de 1 à 4 mètres.
La plaine de la Crau est, un cas exceptionnel de bassin hydrographique puisque l’eau qui alimente sa nappe est principalement exogène : 70% de la recharge provient de l’eau d’irrigation des prairies (apporté par des canaux depuis le barrage de Serre-Ponçon dans les Hautes-Alpes) et seulement 30% de la pluie.
Impacts de l’urbanisation sur l’alimentation de la nappe
La correction d’une carte des prairies irriguées reconnues par télédétection, ainsi que la compilation des grands projets d’infrastructures et des documents d’urbanisme de chacune des communes au sein d’un Système d’Information Géographique (SIG), ont permis d’arriver à déterminer les surfaces de prairies irriguées potentiellement impactées par les aménagements.
- Carte des prairies impactées par les documents d’urbanismes (POS et PLU simplifiés à l’échelle de la nappe phréatique)
- Cette carte permet d’avoir une simplification de la vision des aménageurs du territoire. En noir on observe donc les parcelle agricole qui vont être impactés par la densification urbaine (en rose)
Carte des prairies impactées par les documents d’urbanismes (POS et PLU simplifiés à l’échelle de la nappe phréatique)
C’est environ 500 hectares de prairies qui seraient appelés à disparaître au cours des dix prochaines années, auxquels s’ajoute une estimation d’une centaine d’hectares relatifs à la révision des POS (Plan d’Occupation des Sols) encore en application.
Une modélisation très avancée de la Crau, réalisée par un consortium de chercheurs dans le cadre du projet de Recherche et Développement « ASTUCE & TIC », a fourni des informations nécessaires à cette étude. Le zonage des perméabilités de la Crau a, entre autre, révélé que l’application de ces documents d’urbanisme entraînerait une perte d’environ 9 millions de m3 d’eau de recharge annuelle pour la nappe.
- Processus de salinisation d’une nappe côtière (© Michel Augias)
- Un biseau salé correspond à l’équilibre créé par la différence de densité entre l’eau douce de la nappe phréatique et l’eau salée de la mer. Comme on peut le voir dans ces schémas, cet équilibre peut vite être perturbé par des pompage trop intensifs et provoquer l’avancé du biseau.
Ce volume correspond à 30% des prélèvements d’Alimentation en Eau Potable effectués dans la Crau, et plus de 10% de tous les prélèvements confondus (environ 90 millions de m3).
L’évolution des consommations en eau potable publique, engendrée par les prévisions démographiques des communes prélevant dans la nappe, a été évaluée avec la moyenne de consommation journalière par habitant dans les Bouches-du-Rhône. Ce sont donc 2 millions de m3 d’eau qui seraient prélevés en plus dans la nappe pour alimenter ces nouvelles populations.
Ainsi, 11 millions de m3 d’eau seraient soustraits à la nappe phréatique lors de la concrétisation de ces projets. A l’heure actuelle, évaluer les conséquences de cette perte de recharge sur les zones humides [6], elles-mêmes dépendantes du niveau de la nappe, semble difficile. Mais rapporté au volume annuel des précipitations, soit 50 millions de m3, ces aménagements ont un impact non négligeable sur la nappe phréatique. En effet, il existe d’ores et déjà, des manques d’eau sur certain captages locaux. Le risque est également présent en termes de qualité, puisque qu’avec un contexte de « nappe côtière anthropique », la position du biseau salé [7] est entièrement dépendante de la recharge de la nappe, et donc des prairies irriguées.
Comment réduire ces impacts ?
Après un tel diagnostique, il convient d’étudier les possibilités de limiter les incidences sur la nappe des aménagements projetés, surtout lorsqu’ils sont inévitables.
Parmi les différentes méthodes de compensation étudiées (puits et bassins d’infiltration, création de prairies irriguées), la réimplantation de prairies équivalentes paraît la plus appropriée techniquement et socio-économiquement sur le long terme. Dans cet optique, un outil SIG permettant de rechercher des espaces optimum susceptibles d’accueillir de nouvelles prairies irriguées, a été créé. Ce dernier se présente sous forme d’une carte dont les couleurs indiquent les meilleurs emplacements pour réimplanter des prairies irriguées à l’échelle de la nappe (ou d’une commune) à partir d’une analyse multicritères, prenant en compte notamment :
L’occupation du sol : Est-il possible d’implanter une nouvelle prairie dans l’état actuel d’une parcelle ?
La modification du PLU : Faut-il modifier les documents d’urbanisme ?
Irrigation : Y’a-t-il un canal à proximité pour alimenter en eau la parcelle analysée ?
Zones protégées : Est-ce que la parcelle analysée est bien hors de la réserve ou du réseau Natura 2000 ?
L’exemple ci-dessous présente des potentialités de réimplantations théoriques variant d’une centaine jusqu’à un millier d’hectares selon les critères de contraintes retenus :
- Extrait de la carte de prospection de nouvelles prairies
Extrait de la carte de prospection de nouvelles prairies
Cette méthode de prospection permet aux maîtres d’ouvrages, via une pondération des critères, d’envisager la réimplantation de prairies irriguées sur des espaces prédéterminés. Ainsi, l’impact de l’aménagement du territoire sur la nappe se trouverait limité par cette démarche de compensation.
Pour aller plus loin
Pour aller plus loin dans cette étude d’impacts, il serait intéressant d’évaluer la répercussion que va avoir cette perte de recharge sur le niveau de la nappe. Lorsqu’un modèle hydrogéologique fiable sera disponible, il sera éventuellement possible de déterminer si des puits ou forages risquent d’être à sec, mais aussi d’appréhender l’impact sur les zones humides exutoires, et surtout d’évaluer l’avancée du biseau salé par cette perte de recharge.
Nous semblons entrer dans une période où les besoins de l’Homme surpassent ce que la Terre peut produire. Ces conflits d’usages, que l’on commence à observer dans des régions attractives et/ou sensibles comme le sud de la France, risquent d’être de plus en plus fréquents. L’étude « Approaching a state shift in Earth’s biosphere » publiée dans la revue Nature le 6 Juin 2012 fait actuellement beaucoup parlé d’elle car celle-ci arrive hélas aux même conclusions mais à l’échelle planétaire.
Les auteurs, 22 chercheurs appartenant à une quinzaine d’institutions scientifiques internationales, ont démontré qu’il existerait une valeur seuil correspondant à l’utilisation de 50 % des ressources terrestres qui, une fois franchie, pourrait faire basculer brutalement le système climatique global avant la fin du siècle (Nous utilisons actuellement 43 % des écosystèmes terrestres pour subvenir à nos besoins comme on peut le voir dans la figure ci-dessus).
- Quantification de l’utilisation des terres pour anticiper un changement de l’état planétaire (© Nature)
Le franchissement de ce seuil indiquerait donc le début de la 7e grande crise que la Terre connaîtrait, et cette fois elle ne serait pas déclenché par des catastrophes naturelles, des changements dans la composition des océans ou de l’intensité solaire, mais par une nouvelle pression qui est aujourd’hui exercée sur les écosystèmes : celle de 7 milliards d’êtres humains, et probablement 9 milliards en 2050.
Références
Approaching a state shift in Earth’s biosphere
Témoignages
Notes:
[1] Régressions : un endroit précédemment noyé sous les eaux émerge. Recul du rivage. Elle s’accompagne nécessairement d’une érosion.
[2] Transgressions : avancée de la mer sur une zone émergée. Elle s’accompagne nécessairement d’une sédimentation.
[3] Substratum : socle imperméable sur lequel s’écoule une nappe phréatique.
[4] Würm : dernière glaciation globale du Pléistocène dans les Alpes qui débutât il y a environ 70 000 Ans
[5] Isopièzes : tout comme les courbes de niveau sur une montagne, les courbes isopièzes, ou courbes piézométriques, correspondent à des lignes représentant, sur une carte hydrogéologique, la hauteur en mètres de la surface de la nappe phréatique par rapport au niveau de la mer.
[6] Zone humide : Région où l’eau est le principal facteur qui contrôle le milieu naturel et la vie animale et végétale associée. Elle apparaît là où la nappe phréatique arrive près de la surface ou affleure ou encore, là où des eaux peu profondes recouvrent les terres.
[7] Biseau salé : partie d’une nappe côtière envahie par de l’eau salée comprise entre la base de l’aquifère et une interface eau douce / eau salée, l’eau salée étant sous l’eau douce puisqu’elle est plus dense.